Éducation à trois vitesses: «un manque de vision et de volonté politique»


UN ARTICLE DE SABRINA LAVOIE, LA TRIBUNE, QUI FAIT RÉFLÉCHIR

Entre les écoles secondaires publiques et privées, les programmes à vocation particulière, autres «profils» ou «concentrations» et le programme «régulier» : des écarts se creusent. «Notre système d’éducation fabrique la pauvreté et la précarité», constate Frédéric Saussez, professeur en éducation à l’Université de Sherbrooke et chercheur au centre d’études et de recherches sur les transitions et l’apprentissage.

Même si le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) a sonné l’alarme, en 2016, avec un rapport qui étalait les conséquences de l’éducation à trois vitesses, «rien n’a changé d’un point de vue politique», déplore Frédéric Saussez.

«Pourtant, il y a un consensus assez large, fait-il remarquer. Rares sont les voix en désaccord avec le fait que notre système est inéquitable. Certaines écoles privées sont probablement, elles aussi, en faveur d’une refonte majeure. On ne peut pas être insensible au fait qu’à l’heure actuelle, on participe au maintien de la précarité, de la pauvreté et de l’injustice sociale au Québec.»

Selon le professeur, la ségrégation scolaire se serait exacerbée depuis l’apparition de plans de «réussite» dans les écoles, au début des années 2000, menant à une forme de gestion essentiellement basée sur la performance. Elle découlerait aussi du néolibéralisme et de sa logique du marché appliquée au secteur de l’éducation.

«Dans tous les cas, il ne faut pas en vouloir aux parents, indique M. Saussez. L’État est responsable. En fait, elle est responsable de n’avoir rien fait lorsque se sont amplifiées des logiques de mises en concurrence entre les établissements. Les parents se retrouvent aujourd’hui pris entre cette idée de loyauté envers le réseau public et l’exercice d’un certain libre choix leur permettant de réunir les meilleures conditions pour l’avenir de leur enfant.»

« Ce système injuste, inéquitable et socialement non défendable nuit à l’apprentissage de tous les élèves sans exception. »
 Frédéric Saussez

«Ce système injuste, inéquitable et socialement non défendable nuit à l’apprentissage de tous les élèves sans exception, avance le professeur. Plusieurs études démontrent que plus une classe est hétérogène, plus elle est bénéfique pour l’ensemble du groupe. C’est un mythe profondément ancré dans l’imaginaire collectif que de penser qu’un bon élève dans une classe avec des élèves plus faibles va moins bien apprendre. C’est faux. C’est tout le contraire.»

Si les bénéfices d’une mixité sociale pour les élèves «forts» sont réels, ils sont néanmoins plus importants pour les élèves jugés plus «faibles» alors qu’on les prive d’une «source sociale de développement» générée par un réseau de jeune aux statuts socioéconomiques diversifiés. «Mais malheureusement, on continue de s’intéresser aux facteurs d’ordre individuel pour contrer le décrochage scolaire, déplore M. Saussez. On va s’intéresser à la psychologie du décrocheur, à sa trajectoire à titre d’élèves en difficultés alors qu’on l’a nous-mêmes plongé dans des conditions sociales propices au décrochage.»

«On fait face à un manque de vision et de volonté politique», dénonce Frédéric Saussez qui espère des changements «pour le bien de la collectivité».

Égalité des chances

L’éducation à trois vitesses inquiète aussi Simon, un étudiant de première année au baccalauréat en enseignement au secondaire. Ancien élève de l’école secondaire du Triolet à Sherbrooke, le jeune homme affirme avoir été témoin d’un «clivage» important entre «l’élite» et «les autres» causé notamment par la présence du programme de sport-études, pour lequel des parents déboursent des frais oscillant entre 1000 $ et 4000 $.

«En sport-études, on ne forme pas seulement des athlètes, on y forme une classe de citoyen supérieure qui savent que payer leur accorde une place plus grande dans la hiérarchie de l’école publique et… c’est tragique», se désole-t-il.

Ayant pu profiter du programme de skateboard de cette école, à l’époque où celui-ci était gratuit et accessible à tous, Simon louange le caractère social qu’avait cette initiative mise en place il y a un peu plus d’une décennie par l’enseignant à la retraite et artiste Clôde Beaupré. «Elle visait à réunir les jeunes moins nantis, souvent à risque de décrochage, pour leur permettre de vivre un semblant de programme à vocation. Et le coût par étudiant pour y participer? 50 $», rappelle le futur enseignant d’Univers social qui, autrement, n’aurait pu s’inscrire aux programmes offerts par le Triolet en raison de la réalité financière de sa famille.

Il affirme par ailleurs avoir été consterné d’apprendre par hasard que le programme de skateboard avait été annexé, quelques années plus tard, au programme de sport-études de l’école. «Maintenant, c’est réservé aux plus riches et à ceux et celles qui réussissent mieux», déplore-t-il.

Rappelons que les critères d’admission pour ces programmes, une fois sélectionnés par le partenaire sportif, sont généralement le maintien de résultats égaux ou supérieurs à 70 % en français et en mathématique en plus de réussir dans toutes les autres matières.

«Il faut cesser de déposséder les jeunes du concept d’école pour tous et d’égalité des chances. Sur le terrain, on reproduit des microsociétés inégalitaires et on perpétue un climat toxique.»

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